Acteurs et témoins : le regard réflexif de nos étudiants et étudiantes sur la pandémie
Le sujet de la pandémie n’a pas fini d’étonner et de surprendre la population qui tente de réagir à ce virus bien réel et invisible à l’œil nu. Bon gré, mal gré, la majorité des citoyens et citoyennes s’adaptent à cette nouvelle réalité et s’en remettent à plus compétents en la matière pour analyser, freiner et prendre soin des personnes atteintes par cette maladie. Période instable à plusieurs égards, elle est aussi une plateforme d’innovations qui portent des fruits estimables où l’expérience humaine atteint un point de non-retour.
L’appel du ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur le 16 avril 2020 à inviter tous les étudiants et les étudiantes à se porter volontaires pour contribuer à l’effort collectif dans les établissements de santé et services sociaux a été entendu par la communauté étudiante et par la Faculté de médecine. Comme la responsabilité sociale est une valeur phare à la Faculté de médecine et qu’elle fait partie intégrante de toutes les actions de la planification stratégique, il allait de soi que la Faculté réponde présente à un tel appel et qu’elle agisse en conséquence pour favoriser l’engagement étudiant.
« On a donc réfléchi ensemble, les trois directions de programme en réadaptation, la vice-doyenne à la responsabilité sociale, et moi, pour favoriser l’implication étudiante. Notre réflexion a rapidement convergé vers la création d’un cours optionnel de trois crédits sous la forme d’un stage interprofessionnel en contexte d’urgence sanitaire. Nous avions convenu entre nous que le but du stage n’était pas d’acquérir des compétences particulières dans le savoir-faire, mais plutôt de poser un regard réflexif sur leur vécu en stage. J’ai été particulièrement ravie de l’agilité des directions de programme dans l’offre de ce nouveau cours pour proposer des activités d’apprentissage et d’évaluation qui soient signifiantes pour les étudiants et les étudiantes. » précise Hélène Moffet, vice-doyenne aux études en réadaptation.
Un nouveau cours optionnel
Offert au premier et au deuxième cycle des programmes de formation en réadaptation, ce stage interprofessionnel en contexte d’urgence sanitaire a connu un grand engouement, les inscriptions ont en effet dépassé les espérances. Une première cohorte de 19 stagiaires a œuvré cet été et l’inscription d’un deuxième groupe de 10 stagiaires a été reportée à l’automne 2020. Pour s’inscrire à ce stage, les étudiants et étudiants doivent avoir prodigué, pendant au moins deux semaines, des soins en équipe et de façon polyvalente dans le cadre d’une urgence sanitaire dans différents milieux de soins. En plus d’enrichir le développement de compétences transversales en communication, collaboration, gestion, promotion de la santé, érudition et professionnalisme, l’évaluation finale s’élabore autour d’un regard réflexif, comme personne et comme future et futur professionnel de la santé, sous la forme d’une œuvre artistique et créative individuelle ou collective.
« Moi qui hésitais à l’idée d’accepter cette responsabilité du stage, vous dire comment maintenant je ne voudrais plus en être écarté, je me sens privilégié et enrichi de toutes les expériences des stagiaires. J’ai partagé leurs émotions, j’ai reçu leurs témoignages et leurs confidences. Les œuvres artistiques sont remarquables et témoignent de leur sensibilité, elles sont inspirantes, il se dégage tant d’humanisme. Les étudiantes et les étudiants étaient parfois ébranlés de ce qu’ils avaient vu, on prenait alors du temps pour échanger ensemble, question d’approfondir davantage leur expérience. » confirme Ernesto Morales, professeur agrégé au Département de réadaptation et responsable du stage.
L’expression du regard réflexif
Les thèmes abordés dans les œuvres artistiques réalisées par les stagiaires sont nombreux ainsi que les médiums pour les exprimer. Il est question de la mort et de sa solitude en temps de pandémie, de résilience, du désespoir, de l’impuissance, de l’anxiété, de la fatigue, de l’espoir et de la fragilité. Les œuvres artistiques ont pris plusieurs formes, dont la danse moderne captée sur vidéo, des photographies, des sculptures, le dessin de même que des écrits.
« […] Ces individus sont morts isolés de leurs proches et de leur famille, entourés d’inconnus masqués, et avec pour seuls contacts des gants en nitrile […] L’infirmière est venue me voir pour me demander de l’aider à emballer le cadavre d’une résidente. Moi, une préposée aux bénéficiaires avec seulement trois semaines d’expérience, qui n’avais jamais réellement côtoyé la mort de ma vie… » Laurie St-Jean, étudiante au baccalauréat en ergothérapie.
Les œuvres artistiques dévoilent l’environnement et la force des équipes où les soins sont prodigués. Elles divulguent aussi l’état d’âme de tous ceux et celles qui sont au front et mettent en relief des éléments contrastants, comme le choc des générations entre la jeunesse et la vieillesse, la vie et la mort, le « avant » et le « pendant » la pandémie.
« Nous constatons que les retombées de ces stages sont nombreuses sur le plan humain, que leur savoir-être a été grandement sollicité et que l’entraide interprofessionnelle s’est avérée des plus précieuses. Le résultat global est au-delà de ce que nous avions anticipé. Ce stage marquera probablement leur future pratique en sciences de la santé, car ce qu’ils ont vécu et mis en lumière n’a pas de prix. » Ernesto Morales, responsable du stage.
La réalisation de ce stage a aussi culminé vers la création de la Bourse engagement citoyen d’une valeur de 1 000 $ attribuée à des étudiants et étudiantes qui ont effectué le Stage en contexte d’urgence sanitaire. Composé de trois membres du corps professoral, le comité de sélection a reconnu deux lauréates ex æquo, il s’agit de Catherine Charest qui a présenté une sculpture illustrant une silhouette recroquevillée et de Sandryne Beaulieu qui a réalisé une chorégraphie sous le signe de la tristesse et des besoins immenses des aînés qui souffrent.
Une exposition sur le collectif artistique : rendre compte d’une expérience humaine en situation de stage en temps de pandémie
Une exposition du collectif artistique de ces stages devrait s’élaborer à l’automne 2021. D’ici là, il est possible de consulter le syllabus du cours au premier cycle (FIS-4106) et au deuxième cycle (FIS-6106) pour ceux et celles qui veulent s’engager dans cette expérience qui culmine vers l’art.
Pour en savoir davantage : Le regard de la cohorte COVID-19 : des révolutionnaires en santé de demain (PDF, 412 Ko)
Les œuvres
Sculpture de Catherine Charest
Une silhouette recroquevillée et appuyée sur un mur devant elle. Je voulais qu’on ressente le désespoir et la tristesse dans la posture de la silhouette ainsi que le vide qui l’habite par les cavités de la structure en métal, comme s’il n’y avait plus que son enveloppe corporelle. En tant que tel, le mur empêche le patient d’interagir avec le monde extérieur et démontre à quel point il se sent enfermé. En réalité, cette structure signifie beaucoup plus de ça. Elle représente le contexte institutionnel et les décisions prises qui isolent les patients. Par le relief sur celle-ci, on peut y voir la désorganisation et les inégalités qui règnent dans le système de santé actuel.
Montage de 6 photos de Laurie St-Jean
Dépeindre la réalité du décès vécu par les individus ayant été atteints du Coronavirus, une réalité qui m’a durement frappée lors de mon déploiement dans une résidence pour personnes âgées (RPA). Pour ce faire, j’ai mis en évidence d’un côté des images caractérisant ce à quoi ressemble habituellement un décès dans un hôpital ou dans une RPA, et d’un autre côté des images témoignant de la réalité dans laquelle plusieurs personnes ont quitté ce monde en contexte de pandémie. Laurie St-Jean
Les soldats en parachute de Pierre Trudel
À différentes hauteurs du sol, de petits soldats verts sont accrochés à des masques qui leur servent de parachute. Ces petits soldats sont les travailleurs qui font face à un ennemi qui, bien qu’invisible, est mortel. Leur vie dépend de leur équipement, le masque, sans lequel ils tombent au combat; la mince barrière entre l’état de soignant et celui de soigné. Dans cette précarité de la pandémie, quelque chose est certain : tous les petits soldats sont ensemble, suspendus dans le même ciel, solidaires dans leur saut dans l’inconnu sans savoir quand ils vont toucher le sol.
Elsa Mercier
À travers cette œuvre, j’ai voulu extérioriser par l’entremise à la fois de mots et de gestes la détresse qui pouvait s’emparer de nous lorsque nous passions nos journées sur le plancher à faire le plus possible de notre mieux et qu’il était difficile de mettre des mots sur nos émotions. Je veux que tous ceux qui ont fait don de leur temps et de leur âme durant ces temps difficiles se sentent compris à travers cette œuvre. J’aimerais que leur fatigue se fasse entendre, que leur angoisse soit partagée, que leur manque de ressource incite une action. Cette œuvre met aussi en valeur la force et le courage qu’ont les travailleurs de la santé afin de servir à tous ceux dans le besoin et d’agir comme pilier pour le système de la santé actuel.